“Biologie du livre – Des scientifiques développent de nouveaux moyens pour lire l’histoire biologique des manuscrits anciens”.
Résumé d’un article de Science du 28 juillet 2017 écrit par Ann Gibbons
Et si on voyait le livre autrement ? Par le prisme du microscope, le livre se révèle être porteur d’une foule d’indices sur sa propre histoire.
La scène se passe dans celles qui sont parmi les plus belles bibliothèques de l’université d’Oxford, les Bodleian Libraries, l’objet qui sert de cobaye est le manuscrit médiéval Gospel of Luke (12e siècle). Des scientifiques extraient de minuscules échantillons d’un livre afin d’en extraire des fragments d’ADN.
L’une des premières découvertes est la nature du cuir utilisé pour la couverture de l’ouvrage : il s’agit d’une peau de daim, ce qui est tout à fait commun au Royaume Uni. Quant aux pages, rien moins que 20 animaux ont été nécessaires (moutons, veaux, chèvre) pour les confectionner. On y découvre des trous faits par des vers il y a 900 ans. En étudiant la taille des trous et l’ADN laissé par ces vers, on peut même déterminer où un livre a été fabriqué ou conservé.
Grâce à la paléographie, les scientifiques détectent qu’un copiste visiblement peu consciencieux dans son travail a été annoté en marge par un autre.
Mais ce n’est pas tout. Dans les échantillons prélevés, on retrouve pêle-mêle de l’ADN des insectes “mangeurs de livres” et celui de générations de lecteurs qui ont feuilleté ces pages. On peut savoir si des lecteurs ont toussé, éternué ou même embrassé pendant leur lecture. Souriez, vous êtes filmés (par le livre !).
Car tout cela laisse des traces parfois peu ragoutantes : de l’ADN de l’humain en question et des bactéries. Vous croyiez que les gants blancs pour parcourir les beaux livres anciens servaient à les protéger ? En fait, ils vous protègent aussi des bactéries des lecteurs précédents !
On a pu déterminer ainsi qu’un prêtre hollandais embrassait régulièrement l’image du Christ présente sur le Missal of the Haarlem Linen Weavers Guild autour des années 1400. Et à partir de l’ADN laissé par ses lèvres, les scientifiques pourraient découvrir son ascendance mais aussi la couleur de ses cheveux, de ses yeux et même les maux dont il souffrait. Un véritable portrait robot !
– des protéines : elles révèlent notamment quels(s) types d’animaux ont été utilisés pour confectionner le livre. Elles sont contenues dans les échantillons de collagène animal extraits grâce à une gomme. On peut même déterminer la race exacte de l’animal, et, du coup, son origine géographique.
– les parasites et leurs traces, notamment les galeries laissées par les larves d’insectes. Suivant la taille du trou, on déterminera de quel insecte il s’agit.
– des traces d’ADN. Elles peuvent être étudiées pour déterminer si elles proviennent d’humains, d’insectes ou de micro-organismes.
– des bactéries, particulièrement Staphylococcus
– les pigments. Certains pigments sont très significatifs. Le lapis lazuli par exemple provient d’Afghanistan.
D’après : Science du 28 juillet 2017 (No 6349, vol. 357), Ann Gibbons, Oxford
en ligne ici : http://www.sciencemag.org/news/2017/07/goats-bookworms-monk-s-kiss-biologists-reveal-hidden-history-ancient-gospels